Titan : Pourquoi fascine-t-il autant ?

Photo en fausse couleurs de Titan, prise en 2004. Les longueurs d'ondes visibles sont l'infrarouge et l'ultraviolet. Crédits: NASA

Photo en fausses couleurs de Titan, prise en 2004. Les longueurs d’ondes visibles sont l’infrarouge et l’ultraviolet.
Crédits: NASA

On le retrouve dans de nombreux ouvrages de science-fiction, Titan a toujours eu une place importante pour les auteurs et scénaristes de SF.

Il y a plusieurs raisons à cela, certaines d’entre-elles seront certes discutables, mais le fait est qu’il y a une réelle attirance pour l’imaginaire des Hommes, vers ce petit satellite naturel de Saturne.

Sans parler des nombreux romans d’auteurs de science-fiction amateur et inconnus; ce ne sont pas les exemples qui manquent, Titan fascine !

Mais quel est cet astre si particulier ? Tout le monde connait son nom, mais peu connaissent réellement sa nature et ce qui la rend si précieuse.

Un peu d’histoire, tout commence avec les « oreilles » de Saturne

Titan fut découvert en 1655 par Christian Huygens, un astronome hollandais, alors qu’il tentait de résoudre l’énigme des anneaux de Saturne, eux mêmes aperçus par Galilée 45 ans plus tôt.

Christian Huygens (1629-1695)

Christian Huygens (1629-1695)

Titan sera considéré comme son unique satellite naturel durant plus de 15 ans, à cause de sa taille bien plus imposante que celle des autres satellites naturels de la géante aux anneaux. Au total c’est aujourd’hui plus de 200 satellites naturels qui ont été recensés autour de Saturne.

Bien sûr, seuls les plus gros furent à notre portée pendant des décennies, et nous ne devons ces connaissances approfondies qu’aux sondes qui ont, depuis, exploré cette partie de notre système solaire, notamment Voyager et Cassini.

Un an plus tard (1656) en améliorant son télescope, Christian Huygens comprend que ce que Galilée décrivait alors comme des « sortes d’oreilles » sont en réalité des anneaux qui entourent Saturne. Il pensera d’abord à des anneaux solides, composés de roche avant que 200 ans plus tard, le physicien écossais James Clerk Maxwell ne détermine leurs vraie nature: Un ensemble de disques concentriques constitués de petits débris. Il est à noter que la nature multiple du disque de Saturne avait déjà été remarquée par l’astronome français Jean-Dominique Cassini en 1675, qui aura donné son nom à l’espace le plus conséquent qui sépare les disques A et B: « Division de Cassini ».

Division de Cassini sur les anneaux de Saturne Crédits: NASA/ESA

Division de Cassini sur les anneaux de Saturne
Crédits: NASA/ESA

L’exploration de Titan

Pendant plus de trois cents ans, Titan restera hors de portée et ne sera observée que depuis la Terre. Il faudra attendre 1979 et la sonde Pioneer 11 pour en obtenir les premières photographies. Même si ces dernières sont de piètre qualité, ce survol permettra toutefois d’obtenir une première estimation de la température glaciale qui règne à sa surface.

Depuis, Titan ne fut visité que par deux sondes: Voyager 1 et surtout Cassini.

L’exploration de la sonde Cassini arrivée en 2004, apporta une moisson d’informations sans précédent sur l’ensemble du système saturnien et, outre la réussite indéniable de la mission en orbite, elle parvint même à larguer vers le sol de Titan un atterrisseur baptisé Huygens. Cet appareil a été largué de Cassini en 2005 et a effectué une descente sous parachute à travers l’atmosphère brumeuse du satellite, avant de s’y poser et de prendre des clichés de sa surface.

 

Photographie de Titan prise par la sonde Pioneer 11 Crédits: NASA

Photographie de Titan prise par la sonde Pioneer 11
Crédits: NASA

Photographie de Titan par la sonde Cassini, l'ouragan permanent du pôle sud y est clairement visible. Crédits: ESA

Photographie de Titan par la sonde Cassini, l’ouragan permanent du pôle sud y est clairement visible.
Crédits: ESA

Que verrait-on sur Titan ?

Photographie de la surface de Titan, prise par l'atterrisseur Huygens Crédits: ESA

Photographie de la surface de Titan, prise par l’atterrisseur Huygens
Crédits: ESA

Votre vaisseau est resté en orbite, et vous avez pris place dans votre capsule de descente. Après plusieurs minutes de vol sous votre parachute, votre module touche le sol glacé de Titan. Vous détachez votre harnais et vous précipitez au hublot; que voyez-vous ?

Pas grand chose ! L’atmosphère brumeuse orangée, composée majoritairement de diazote et d’un peu d’hydrocarbures (que l’on pense à l’origine du brouillard), masque la visibilité.

Sur cette dernière photographie de la surface, le sable visible entre les blocs serait composé de particules d’hydrocarbures sous forme d’aérosols, tandis que les rochers seraient composés de glace d’eau.

La pression au sol est d’environ 140 à 150 kPa, soit 1,5 fois celle que l’on connait sur Terre au niveau de la mer. Pour se le représenter, il s’agirait de la pression que supporte un plongeur à 5 mètres de profondeur sous l’eau. Vous n’avez donc pas besoin d’un imposant scaphandre pour sortir, un masque et une bouteille d’air comprimé suffiront. En revanche il vous faut une petite laine ! La température régnant au sol étant de -173°C (100°K).

Maintenant que vous êtes à l’extérieur de votre capsule, et que vous avez terminé de contempler le brumeux spectacle, vous êtes debout sur le marche pied. Vous sautez les quelques mètres qui vous séparent du sol.

A votre grande surprise, votre bond vous emmène loin, très loin, de votre capsule, et vous touchez le sol délicatement en soulevant à peine un nuage de poussière. La gravité sur Titan est extrêmement faible ! 0,14g soit 7 fois moins intense que sur Terre et plus faible encore que celle de la Lune (0,16g). Si votre poids terrien était de 70kg, vous n’en feriez que 10kg sur Titan ! Le poids d’un bébé d’un an et demi.

Pourtant Titan est 1,5 fois plus grande que la Lune, son diamètre est de 5’100 km environ contre 3’400 km pour notre satellite naturel. La différence vient, bien entendu de sa densité bien moindre.

Comparaison d'échelle entre la Terre et Titan Crédits: NASA/Urhixidur

Comparaison d’échelle entre la Terre et Titan
Crédits: NASA/Urhixidur

Et ce n’est pas tout ! Si l’envie vous prenait subitement d’effectuer un rapide survol de votre site d’atterrissage, vous n’auriez nullement besoin d’un hélicoptère ni d’un avion. L’effet conjugué de la densité de l’atmosphère (4,5 fois plus forte que sur Terre) et de la faible pesanteur rendrait possible un vol plané à l’aide d’une grande wingsuit et d’un peu d’élan.

Vous prenez donc un peu de vitesse, et courrez le long de la crête de la petite colline sur laquelle s’est posée votre capsule. Lorsque vous êtes à la bonne allure, vous faites un petit bond, dépliez vos bras, et vous envolez à plusieurs mètres d’altitude sans aucun mal. Vous donnez un coup de propulseur attaché sur votre dos, et vous en profitez pour atteindre le haut de cette petite falaise qui vous faisait face. Vous vous reposez un instant en regardant le ciel. Les nuages s’écartent, et à la faveur de cette éclaircie vous apercevez derrière un écran orangé, votre voisine géante. Brillante, et magnifique, remplissant le ciel de ses anneaux flamboyants.

Vue d'artiste de la surface de Titan Crédits: Dirk Terrell

Vue d’artiste de la surface de Titan
Crédits: Dirk Terrell

En bas, au loin, une tache sombre retient votre attention. Un lac ! Vous sautez de votre perchoir et planez doucement, jusqu’à atteindre ses berges. Sa couleur est orangée, mais en vous approchant vous vous rendez compte que c’est le ciel qui la teinte. Le liquide qu’il contient est translucide et clair, il s’agit en réalité d’hydrocarbures, certainement de l’éthane ou du méthane sous leurs forme liquide. Alors que le vent se met à souffler plus fort, un bruit sourd vous interpelle. Un gros nuage glisse, se dirigeant vers le Nord qui est actuellement plongé dans un hiver de 7 ans. Et vous vous apercevez qu’il commence à pleuvoir, il va être temps de rentrer pour vous mettre à l’abri.

Vous jetez un dernier regard vers le lac, son niveau a baissé significativement depuis votre arrivée. La force de marée exercée par Saturne y est sans doute pour quelque chose, puisque ses effets sont 400 fois plus intenses que ceux de la Lune sur la Terre. Vous n’êtes sortis que depuis quelques minutes de votre module, et vous n’avez déjà plus envie d’y retourner.

Le véritable intérêt de Titan

Ce n’est pas dans ces péripéties aériennes, et sa beauté que réside le réel atout de cet astre. Ce qui fait de Titan un astre unique est qu’il pourrait facilement être comparé à une Mini-Terre placée au congélateur.

Titan est unique

Il réunit plusieurs aspects uniques et d’autres qui sont essentiels à la vie telle qu’on la connait:

  • Il fourmille de molécules organiques
  • Des réactions chimiques complexes y ont lieu
  • Il est le seul satellite naturel du système solaire à disposer d’une réelle atmosphère
  • Il est le deuxième plus gros satellite naturel (après Ganymède), et le plus gros satellite de Saturne. Il dépasse même la taille d’une planète: Mercure.
  • Bien que dénué de champ magnétique, Titan pourrait malgré tout bloquer une grande partie des vents solaires grâce à son épaisse atmosphère.
  • Il est le seul astre tellurique, avec la Terre, à présenter des éléments chimiques sous forme liquide et stable à sa surface
  • Il possède un cycle du méthane/éthane analogue au cycle de l’eau sur Terre, avec des nuages et des précipitations

Dans l’état actuel de ses conditions climatiques et de sa composition chimique, il n’est pas exclu que Titan puisse receler une forme de vie primitive. Puisque de nombreux scientifiques pensent que Titan ressemble à s’y méprendre à la Terre lors des débuts de l’apparition de la vie.

Les ingrédients de la vie

La présence de molécules organiques complexes laisse à penser que la formation des macromolécules à l’origine de la vie, comme les acides aminés, puisse se produire.

Molécule d'Arginine, l'un des 20 acides aminés entrant dans la composition des protéines.

Molécule d’Arginine, l’un des 20 acides aminés entrant dans la composition des protéines.

Les acides aminés sont de très grosses molécules à base de carbone, elles jouent un rôle prépondérant dans la formation des protéines. Ces mêmes protéines qui sont codées dans notre ADN et celui de tous les êtres vivants de notre planète.

Les briques de ces molécules à rallonge sont issues de longues chaines d’atomes de carbone, ce que l’on appelle les molécules organiques. Même s’il est totalement incertain de trouver de telles macromolécules sur Titan, il est en revanche certain que les briques qui les constituent y sont présentes en grand nombre.

Il serait donc possible d’y trouver de la vie, primitive certes, mais il s’agirait là de la preuve irréfutable que la vie peut se développer sur une autre planète que la notre. Ce qui révolutionnerait sans aucun doute, ce que nous croyons penser sur d’autres systèmes exoplanétaires.

Mais puisqu’il est congelé…

Comment pourrait-on espérer y survivre confortablement à long terme ? Tout simplement en se posant la bonne question:

Qu’arriverait-il à cette mini-Terre si l’on décidait un jour de la décongeler ?

 

Vue d'artiste de Titan terraformée Crédits: C.P. Rigel / Falc0nB13

Vue d’artiste de Titan terraformée
Crédits: C.P. Rigel / Falc0nB13

L’éternel rêve de la terraformation. Qu’arriverait-il si l’être humain venait réchauffer Titan ?

Si l’on y installait un moyen de générer de l’oxygène en grande quantité dans l’atmosphère, il serait possible de la rendre plus chaude et plus clémente. En somme, reproduire artificiellement ce qu’il s’est passé sur Terre il y a 3,5 milliards d’années.

Ce projet un peu fou se heurte à de nombreux obstacles, aussi bien techniques que philosophiques.

Au niveau technique

Il faudrait pour cela modifier la composition de son atmosphère à grande échelle. Certains diront qu’on à déjà réussi à le faire sur Terre, et ils n’auraient pas tout à fait tort. Le réchauffement climatique, s’il est attesté, serait une forme de ce qu’il faudrait mettre en application sur Titan.

Bien entendu, il ne serait pas question d’y faire atterrir des centaines de milliers de véhicules diesel qui fonctionneraient en permanence ! Le but ne serait pas de « polluer » Titan. Mais il serait possible d’augmenter son effet de serre naturel en y déposant de quoi générer certains de ces gaz tant décriés sur notre planète. Certains organismes naturels présents sur Terre pourraient très bien se nourrir des hydrocarbures présents en quantité, pour produire des gaz à effet de serre tels que le CO², le méthane ou encore la vapeur d’eau.

Enfin, le coté philosophique

Nous pourrions même dire: éthique. Il est à prendre en compte car cela reviendrait à tirer un trait sur l’histoire passée de Titan, au profit d’un avenir conçu de toutes pièces. Couper l’herbe sous le pieds de la nature.

Et si Titan possédait déjà une biosphère ? Mais qu’elle nous restait inconnue ou inaccessible… Cela reviendrait à détruire l’écosystème existant d’une planète ainsi que tout ce qui en dépend, au profit du notre. Une telle chose est inenvisageable, et personne ne prendrait aujourd’hui une telle responsabilité. Les conditions drastiques de stérilisation des sondes interplanétaires comme celles du programme MSL et de son robot Curiosity, posé sur Mars en 2012, en sont la parfaite illustration.

Le bouclier thermique de Curiosity est contrôlé afin de détecter les bactéries présentes à sa surface. Crédits : NASA/Glenn Benson

Le bouclier thermique de Curiosity est contrôlé afin de détecter les bactéries présentes à sa surface.
Crédits : NASA/Glenn Benson

C’est ce que l’on veut éviter à tout prix ! Contaminer un autre monde avec des organismes terriens, et un département spécialisé sur la question a même été créé au sein de la NASA. Il y a donc un gouffre entre les prétentions de la fiction, et l’objectif suivi actuellement par nos agences spatiales.

Peut-être verrons-nous un jour des Hommes sur Mars, mais la conquête de Titan restera pour longtemps: de la science-fiction.

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